Le film s’appelle Cyril contre Goliath. Dans la vraie vie, Goliath a les traits d’un vieillard, ex dandy des années 70, couturier dans son passé, qui a fait de son nom une marque franchisée. Pierre Cardin, rentier franchiseur richissime, n’apparait pourtant pas franc pour deux sous dans le film de Cyril Montana et Thomas Bornot qui sort cette semaine en France, après avoir été sélectionné au festival du film français d’Angoulême.
« Je veux faire de Lacoste, le Saint Tropez de la culture » avait promis Cardin qui, après avoir acheté et rénové le château du marquis de Sade sur les hauteurs de Lacoste a acquis parfois trois fois leurs valeurs une cinquantaine de maisons et de commerces du village pour en exclure ses habitants et n’en faire… rien. Dévitaliser une micro société au lourd et très artistique passé au cœur du Lubéron. « Certains collectionnent les timbres, moi c’est les maisons » anone le vieil homme – 98 ans au compteur- courroucé qu’on vienne lui chercher des noises.
Celui qui sort les gants et la caméra, c’est Cyril Montana, l’invité du jour : « Ce film a changé ma vie » dit-il, se découvrant une envie de faire un film finalement très politique (il s’achève sur des statistiques d’OXFAM qui rappellent qu’en France 7 milliardaires possèdent autant que 30% de la population) : « Jeff Bezos va devenir le premier trillionnaire du monde. Me battre contre la violence acheteuse de Cardin c’est engager ce combat contre la main mise des hypercapitalistes sur le monde ». Et on est prêt à le croire, surtout quand on entend le couturier infatué expliquer devant une caméra de FR3 benoitement que les habitants de Lacoste sont des « petites gens qui ne sont pas grand-chose quand on les examine bien… Certains sont bien mais ils n’ont pas cette envergure internationale que je possède. On n’est pas au même niveau ».
Avec Cardin, on n’est jamais déçu. Ce qui est bien quand on est cinéaste. On tient là un vrai méchant. Aussi bête que méchant… C’est ce qu’a dû se dire Thomas Bornot qui, cinq ans durant, a suivi Cyril dans son chemin de Lacoste aussi tortueux et initiatique que celui de Compostelle. Montana a vécu enfant à Lacoste avec sa grand-mère, à la mort de son père. Il ne comprend pas cet acharnement à acheter du vieillard, un peu mieux la fatigue et les regrets de ceux qui ont vendu. Cela donne un film détonnant et émouvant. Les riches vivent au-dessus de nos moyens, annonce l’affiche. Cela donne aussi un TPA de bon cru où Denis Robert, emballé, refait le monde et le parcours qui a amené un bobo parisien, ex jetseter, ex-mari de la chanteuse Auggun, devenir un ardent révolutionnaire bien plus proche de Ruffin que de Macron…
Dans le film, comme dans l’émission, on invite aussi des philosophes (Cynthia Fleury), des politiques (Danièle Simonet), on traverse la France à pied, on boit des coups, on parle d’argent, de vieilles pierres, de villageois corrompus ou spoliés et d’avenir. Le tout est porté par la figure tutélaire de Pierre Cardin. On ne savait pas que derrière la marque se cachait un homme au cœur de granit.
Et on se prend à rêver d’une fin heureuse : si seulement, le vieux couturier pouvait voir le film ou ce TPA de haute volée. Histoire de s’adoucir un peu.
Sors de ce corps, sadique marmiton… Reviens sur Terre… Seuls les Dieux ou les Diables sont capables de défaire ce que tu défais…