Olivier de Schutter : "Pourquoi la croissance ne vaincra pas la pauvreté" : épisode • 3/8 du podcast « Je rêvais d’un autre monde » - Lundi 18 septembre 2023 / La terre au carré
La croissance économique ©Getty - Andriy Onufriyenko
Série « « Je rêvais d’un autre monde » »
Non seulement la croissance ne résoudra en rien la question des inégalités ni celle des multiples crises environnementales, mais au contraire, elle ne fera que les aggraver. C’est ce que montre Olivier de Schutter dans son livre.
Avec Olivier De Schutter Rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté
L’augmentation du PIB n’amène plus le bien-être escompté dans les pays riches, mais au contraire davantage d'inégalités, de pauvreté et d'impacts écologiques. Dans les pays riches la croissance est ainsi devenue contre-productive...
En outre, Olivier de Schutter s’attaque à la fausse croyance selon laquelle la croissance permet de réduire la pauvreté.
Dans Changer de boussole (Les liens qui libèrent), le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains et l’extrême pauvreté, plaide pour la sobriété au Nord – qui ne se confond ni avec le renoncement ni avec le sacrifice – et pour une croissance différente de celle d’aujourd’hui dans les pays à faibles revenus.
Il démontre l’urgence d’un changement d’orientation devant générer plus de justice sociale et réduire la pauvreté.
Nous produisons assez pour nourrir 12 milliards de personnes
Près d'un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim aujourd'hui sur la planète, alors même que nous produisons dans le monde de quoi en nourrir 12 milliards. Pourtant, avec quelques décisions courageuses, par exemple dans le domaine de l'agriculture, le problème de la faim pourrait être résolu. C’est ce qu’on peut lire dans l'ouvrage d’Olivier de Schutter. Il explique pourquoi dans nos sociétés d'abondance, la recherche obsessionnelle de la croissance est aujourd'hui totalement contre-productive.
Intégrer la dimension sociale dans la transformation écologique
La question des inégalités sociales aujourd'hui et celles de la transition écologique sont étroitement imbriquées. Pour Olivier de Schutter : « Les impacts sur l'environnement de notre mode de croissance ont des impacts sur les personnes en pauvreté. Ce sont elles qui subissent la pollution de l'air, qui habitent sur les zones inondables ou sujettes à des glissements de terrain. Au niveau mondial, ce sont elles qui dépendent des ressources naturelles, qui sont les premières victimes des ruptures climatiques. On n'intègre pas la dimension sociale dans les choix que nous faisons pour décarboner l'économie. Il faut concevoir autrement la transformation écologique et en faire un levier de justice sociale. »
Une croissance contre-productive
Dans son livre, Olivier de Schutter montre que nos riches sociétés sont face à un énorme problème, celui de la croissance économique basée sur l'augmentation du PIB. Une méthode contre-productive qui est actuellement à son paroxysme : « La recherche de la croissance qui a été pendant tout le XXᵉ siècle l'obsession des gouvernements depuis que la valeur a été inventée au début des années 40, oriente des choix de politique économique d'une manière qui, aujourd'hui augmente les inégalités, l'insécurité des personnes à faible revenu et a des impacts sur l'environnement qu'on ne peut plus ignorer et qui n'était pas du tout présent à l'esprit des gouvernements dans les années 40 et 50, quand l'indicateur du PIB a commencé à les mobiliser. »
Un consensus qui émerge chez les chercheurs
Les politiques sont minoritaires à oser entrer dans ce débat sur la croissance, mais du côté des experts académiques, un consensus est en train d'émerger. Pour eux, la recherche de la croissance du PIB n'est pas un objectif souhaitable en soi, même si cette recherche a pu servir certains objectifs légitimes jusqu’à il y a une quarantaine d'années : « Il y a une véritable difficulté pour le monde politique à changer un logiciel hérité du XXᵉ siècle. Au XXᵉ siècle, on avait une droite et une gauche qui s'opposaient non pas sur le besoin de croissance, mais sur comment la réaliser, avec des recettes fondées plus la discipline fiscale et la récompense aux investisseurs de droite et à gauche, il y avait un débat sur le partage des fruits de la croissance, mais l'idée de croissance n'était pas contestée. »
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De plus en plus d’inégalités
Une partie importante de la croissance des pays en développement repose sur les exportations vers les pays riches. Quand les pays riches réduisent leur croissance, ce sont les pays en développement qui en subissent les impacts. Pour notre invitée : « Il faut aller vers une déconnexion relative pour que les pays en développement puissent continuer de se développer sans que cela ne dépende de la croissance continue des pays riches. Mais en exploitant le pétrole ou l'industrie extractive, on détruit des communautés et on augmente les inégalités. On développe une économie de rente qui profite à quelques-uns, mais pas à la grande masse. Ces pays en développement doivent se poser la question de la sélectivité dans la croissance. »
La responsabilité des grandes entreprises
Les lobbies des entreprises ont un rôle indéniable dans cette course à la croissance. Pour Olivier de Schutter, l’influence politique des entreprises ne se limite pas à quelques actes isolés de corruption ou au lobbyisme financé dont elles sont capables : « Le vrai problème, c'est que ces grandes entreprises, sont les championnes des économies d'échelle des longues chaînes mondiales d'approvisionnement qui mettent en concurrence les producteurs du monde entier pour écouler à bas prix sur les marchés des produits de masse pour une consommation de masse. Ces entreprises peuvent s'adresser aux gouvernements pour ne pas être bridées par une fiscalité trop lourde ou par une réglementation trop exigeante, en leur disant qu’elles vont délocaliser leur production, et l’on ne pourra plus satisfaire les attentes du public qui veut pouvoir consommer. Si on continue à se donner comme objectif la croissance du PIB, on continue d'être l'otage de cette espèce de chantage qu'exercent les grandes entreprises qui en sont les championnes. »
Aller vers une société apaisée
Les études actuelles montrent toutes qu'entre la croissance du PIB et l'amélioration du bien-être, le sentiment de bonheur que les gens éprouvent, ce lien est rompu depuis plus de 40 ans : « L'augmentation de la richesse monétaire ne satisfait plus les attentes des gens. Ils veulent une vie équilibrée entre la famille, les amis, les loisirs d'une part et le travail d'autre part. Ce qu'ils veulent, c'est pouvoir habiter dans les endroits qui ne sont pas pollués et avoir un lien à la nature, pouvoir développer des talents ou autres que ce qu'ils peuvent développer au travail, avec des activités auto productives qui suppose qu'on travaille moins et qu'on aille vers une société plus pacifiée, apaisée, plus conviviale aussi. Cependant, l'offre politique, aujourd'hui, n'est pas de nature à ce que ces voix puissent se faire entendre. Peut-être qu'il faut aujourd'hui un sursaut d'imagination politique pour qu'on puisse véritablement tester la popularité de ces propositions auprès du public. »
Pour en savoir plus écoutez l'émission...
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Agriculture biologique et Alimentation
Pour l’heure, seulement 9 % des surfaces agricoles européennes sont cultivées. ©AdobeStock
La guerre en Ukraine nous rappelle douloureusement notre hyperdépendance alimentaire tandis que les épisodes climatiques extrêmes nous enjoignent à revoir notre système agricole pour protéger la planète. L’agriculture bio est sur toutes les lèvres, mais peut-elle seulement satisfaire les besoins alimentaires à l’échelle mondiale ?
L’échec du productivisme
Car jusqu’ici, le modèle productiviste a failli à bien des égards : déforestation, altération de la biodiversité, appauvrissement des sols, pollution de l’eau, émissions significatives de gaz à effet de serre – 22 % du total des émissions selon le dernier rapport du GIEC. « En ajoutant la fabrication des engrais à partir de gaz naturel, le stockage, le transport, le conditionnement et la transformation des aliments, on dépasse les 30 % », ajoute Olivier De Schutter, juriste belge, professeur de droit international et ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation de 2008 à 2014. Sans compter que le méthane issu du bétail a un pouvoir de réchauffement bien plus élevé que le CO2. Mais l’agriculture industrielle a également échoué à nourrir les populations : d’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en 2017, 821 millions de personnes souffraient de sous-alimentation – alors même que les pertes alimentaires représenteraient 14 % de la production agricole mondiale. Quant au gaspillage alimentaire, il représenterait selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) 17 % de la production agricole mondiale.
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Xavier Poux, ingénieur agronome à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Il faut sortir de cette logique selon laquelle il faut impérativement compenser la perte de rendement », estime-t-il. Il rappelle que ces pertes sont déjà à l’œuvre malgré nos modèles industriels, et qu’il faut s’y adapter.
Penser circulaire et sortir des logiques de marché
C’est chose faite dans une étude publiée dans Nature Communications en 2017 https://www.nature.com/articles/s41467-017-01410-w, qui assure qu’atteindre 100 % d’agriculture bio d’ici 2050 est possible à condition de réduire le gaspillage alimentaire et de modifier nos habitudes de consommation – moins de viande notamment, afin de libérer des terres cultivables pour l’alimentation humaine – et ainsi compenser une perte de rendement estimée à 30 %. « D’autant que certains pays pourraient être avantagés par le mode d’agriculture biologique, notamment en Asie ou en Afrique, particulièrement pauvres et affamés », ajoute Xavier Poux. Dès 2008, des chercheurs des Nations unies avaient démontré que des exploitations de vingt-quatre pays africains en conversion ou déjà converties au bio avaient vu leur productivité augmenter de 116 % après trois à dix ans de culture https://unctad.org/system/files/official-document/ditcted200715_en.pdf.
Pour l’heure, seulement 9 % des surfaces agricoles européennes sont cultivées en bio, avec un objectif de 25 % d’ici 2030 fixé par la Commission européenne dans sa stratégie « De la fourche à la fourchette » adoptée fin 2021
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les politiques publiques doivent sortir des logiques de marché. Et mettre en place un plan. C’est ce que propose le scénario Afterres2050 pour la France https://afterres2050.solagro.org/. Construit sur le modèle du scénario négaWatt par Solagro, entreprise associative qui réunit des agriculteurs et des citoyens, ce projet propose un plan pour maintenir la production agricole en divisant par trois l’ensemble des intrants et impacts, tout en garantissant le fait de bien nourrir les Français. Mais Xavier Poux pointe aussi les limites du bio : « Si le fumier est acheminé par camion depuis des pays étrangers – comme c’est le cas pour de nombreux agriculteurs en France –, on passe à du bio industriel. »
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Les nouvelles voies de l’agroécologie
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Xavier Poux propose un modèle d’agroécologie nommé TYFA qui permettrait de nourrir le continent européen – les données manquent à l’échelle mondiale – à surface agricole constante, tout en limitant le risque de rupture en approvisionnements. Pour cela, nous devons agir tant sur nos techniques agricoles que sur notre régime alimentaire
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Benoît Biteau, député EELV au Parlement européen et agriculteur en Charente-Maritime sur 210 hectares (céréales, légumineuses, bétail, prairies), ces « techniques culturales simplifiées » donnent « des résultats économiques très satisfaisants » ... alors que son père, qui travaillait ces mêmes champs en conventionnel, mobilisait 7 calories fossiles pour produire 1 calorie alimentaire, Benoît Biteau produit 2,4 calories alimentaires avec 1 calorie fossile [2].
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Philippe Pointereau, coauteur du scénario Afterres2050, confirme : « Il est temps de raisonner en termes de système alimentaire durable. Le changement de régime alimentaire – produits de qualité, moins de viande et de produits laitiers – est un puissant levier de transition, il est dans les mains de tous les consommateurs mais aussi des collectivités locales. »
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[1] Pierre-Marie Aubert et Xavier Poux, Demain, une Europe agroécologique, Actes Sud, 2021.
[2] Les calories fossiles représentent l’énergie fossile dépensée pour la production agricole ; les calories alimentaires l’énergie récupérée sous forme de nourriture. Cette comparaison vise à mesurer l’empreinte énergétique des différents modèles agricoles.
Connu / https://wegreen.fr/post/196684
Choisir de créer le monde dans lequel nous vivrons ou laisser les évènements suivre leur cours est une question à laquelle nous sommes collectivement confrontés. Selon l'écrasante majorité des données scientifiques, notre futur est très incertain. Les urgences s'accumulent, des effondrements ont déjà commencé. Les solutions sont connues, mais ne sont pas mises en place. Et si des personnes et des collectifs s'engagent pour que la situation évolue, un changement de paradigme est nécessaire.
Explorer les dimensions intérieures pour réaliser un changement radical
L'Université des colibris, véritable levier d'éducation populaire, associé au Réseau Transition belge et au Laboratoire de Transition Intérieure, basé en Suisse, avec une dizaine d'autres partenaires, proposent de favoriser ce changement de paradigme en explorant les dimensions intérieures et culturelles de la situation. Ces dimensions qui, oubliées, favorisent l'inertie et la reproduction des mécanismes qui détruisent la vie. Et qui ont aussi le potentiel de nous permettre de franchir d'importants paliers de changement.
crédit : Flore-Aël Surun, du désir dans les ailes, photographie, 2008.
Un MOOC pour soutenir cette exploration
Pour ce faire l'Université et ses partenaires propose un MOOC, une formation en ligne gratuite et ouverte à tous·tes pour:
Rappeler les faits liés aux effondrements et aux bouleversements en cours et à venir.
Apprendre à transformer les ressentis et émotions inconfortables générés par les faits en énergie pour l'action positive
Favoriser l'évolution des consciences individuelles et des cultures collectives pour cesser de reproduire souvent inconsciemment, les logiques qui ont créé cette situation, et permettre un vrai changement de cap
Initier à des théories, postures et pratiques qui permettent d'aligner l'être et l'agir, au niveau individuel et collectif
Découvrir la diversité des moyens d'action et permettre à chacun de choisir comment contribuer individuellement et collectivement
Constitué de 17 modules pour une durée totale de formation de 12h environ. De plus, des rencontres, entre participants et/ou dans la nature, auront lieu pour pratiquer, expérimenter, apprendre et s'enrichir ensemble (selon les conditions sanitaires en vigueur).
crédit : Véronique Drougard, "Prendre soin du vivant", photographie, 2020.
Les intervenants
- Nathalie Achard, militante, auteure, formatrice en Communication Non Violente
- Olivier de Schutter, juriste et professeur de droit international, rapporteur spécial de l'ONU sur l'extrême pauvreté
- Josué Dusoulier, co-fondateur du Réseau Transition belge
- Michel Maxime Egger, sociologue, écothéologien, responsable du Laboratoire de Transition Intérieure
- Carole Feulien, formatrice en écopsychologie
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Rop Hopkins, fondateur du réseau Villes en Transition
Gauthier Chapelle, ingénieur agronome, co-auteur de "Une autre fin du monde est possible"
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Merci à nos partenaires principaux (et à tous les autres que vous découvrirez dans le MOOC) : Réseau Transition - Laboratoire de la Transition Intérieure - Fondation Léa Nature