Économie
Hervé Nathan
Directeur adjoint de la rédaction
Le conseil des ministres des Finances de la zone euro a encore une fois échoué à adopter une imposition sur le chiffre d'affaires des géants du numériques. L'impotence européenne représente à la fois un déni de démocratie, une ineptie économique et une soumission aux Etats-Unis.
On serait dans un film comique, on crierait « caramba, encore raté ! », en lisant le résultat pitoyable du dernier conseil des ministres des Finances européens. Non seulement le projet de budget de la zone euro n’est qu’une sorte de zombie, non seulement la protection des dépôts bancaires des citoyens a été remis à plus tard, mais la taxe Gafa, même réduite à sa plus simple expression, à savoir l’imposition des seuls revenus de la publicité sur Internet, a été repoussée à cause de l’opposition de quatre pays membres de l’Union européenne, l’Irlande, la Suède, la Finlande et Danemark. Même si une autre version sera peut-être examinée en mars 2019, un triple suicide se profile pour l’Union européenne.
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Un suicide démocratique. Dans tous les pays, les opinions publiques sont scandalisées par la capacité qu’ont les géants du numériques, Google, Amazon, Facebook et Apple, à échapper à l’impôt, alors qu’ils tirent des bénéfices considérables des marchés européens sur lesquels ils sont en position dominante. Bafouer ainsi les sentiments des citoyens en s’abritant derrière la règle de l’unanimité en matière fiscale, c’est ouvrir en grand l’espace électoral aux partis anti-européens, dont certains sont aussi des partis autoritaires.
Un suicide économique. En sortant du conseil, le ministre français Bruno Le Maire a affirmé que faute d’un accord en mars, la France instituerait une taxe « Gafa » sur son territoire. Bel effet de manche, même si on attendra de voir le texte… Mais surtout, la prolifération de taxes nationales, si justifiées soient-elles par la soif de justice des citoyens, aura pour effet de fractionner le marché européen, alors que c’est la profondeur du marché des données, le pétrole de l’économie numérique, qui permettrait à des firmes européennes de croître suffisamment pour prétendre contester les monopoles que se sont constitués les Gafa, tous américains. Coincées dans leurs frontières, n'ayant pas accès à une masse suffisante de clients/fournisseurs, les start-up seront condamnées à demeurer indéfiniment des naines, et aucun Google européen ne risque de prendre son envol.
Un suicide de souveraineté. Un des moteurs de cette histoire est tout simplement la trouille. Trouille des Irlandais de ne plus être le « meilleur ami de Google », qui doit 10 milliards d’euros aux contribuables du pays, trouille des Allemands que Donald Trump, qui analyse l’imposition des Gafa comme un acte anti-américain, ne se venge en élevant les droits de douane sur les berlines Mercedes, BMW et Porsche, exportées outre-Atlantique… En laissant la trouille les guider, les gouvernements des pays membres (la Commission pour cette fois, n’est pas à mettre dans le même sac) font mieux que d’intégrer d’éventuelles sanctions américaines, ils les précèdent, entraînant l’UE dans la voie de la soumission à un pouvoir américain qui n’a même pas besoin de faire usage de la force. Qui a dit que l’Europe devait être démocratique, protectrice, souveraine ?
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