Blog : Sortons de l'âge des fossiles !
Sidérant. Il est proprement sidérant de voir avec quel désintérêt Emmanuel Macron et son gouvernement ont accueilli le récent rapport publié par le GIEC pour contenir le réchauffement à 1,5°C. Alors que les marches pour le climat ont été un succès, plusieurs défis vont devoir être relevés pour obtenir les décisions visionnaires et courageuses qui ne viennent pas et dont nous avons besoin.
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Revenons d'abord sur les dix enseignements à tirer de la séquence que nous venons de vivre, qui s'étend de l'été caniculaire à la publication du rapport du GIEC, en passant par la démission de Nicolas Hulot et l'ampleur – inédite – de la mobilisation citoyenne :
- le réchauffement climatique se conjugue au présent et ici, pas (uniquement) au futur et ailleurs ;
- il n'y a pas plus de sauveur de l'humanité que de solution miracle ;
- la stratégie des « petits pas » des pouvoirs publics ne fonctionne pas et elle est discréditée aux yeux de l'opinion ;
- il n'y a pas de politique climatique à la hauteur des enjeux dans un cadre néolibéral, productiviste, consumériste et croissantiste ;
- le sérieux a changé de camp : affirmer qu'il faut transformer profondément notre système économique et social ne fait plus sourire, c'est devenu un passage obligé ;
- la dissonance entre les discours des décideurs politiques et économiques, toujours plus verts, et leurs décisions, qui ne le sont que trop rarement, n'a jamais été si grande et si bien perçue par l'opinion publique ;
- contenir le réchauffement climatique en-deçà de 1,5°C est encore possible au prix de « profondes réductions d'émissions dans tous les secteurs » ;
- si les impacts sur les milieux naturels et les populations varient fortement entre 1,5°C et 2°C de réchauffement, les solutions à mettre en œuvre sont identiques ; seule l'intensité et la rapidité d'application varient (autrement dit, quand on rate son arrêt de bus, on n'attend pas le terminus pour descendre, mais on descend à l'arrêt suivant)
- nous sommes bien plus nombreux à être prêts à nous mobiliser durablement et avec détermination que beaucoup d'observateurs ne l'affirmaient ;
- la participation aux manifestations et l'intérêt observé sur les réseaux sociaux se transcrivent dans une très forte demande d'actions et mobilisations concrètes, allant de la généralisation des petits gestes individuels à des actions plus engagées de désobéissance civile ;
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ni l'ONU, ni l'UE – incapable de revoir ses objectifs climatiques à la hausse – ni Emmanuel Macron ne vont se saisir du rapport du GIEC pour proposer un plan d'urgence pour le climat. Autrement dit, les superbes manifestations des 8 septembre et 13 octobre ne suffiront pas pour obtenir les décisions visionnaires et courageuses dont nous avons besoin. Un rapport de force autrement plus puissant est nécessaire. Il en découle trois défis majeurs pour toutes celles et ceux convaincus de l'urgence à agir.
Un défi stratégique
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Un défi organisationnel
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Pour débloquer, nourrir et déployer la transition écologique, nous avons besoin de tout autre chose. Par exemple, aucune organisation n'est outillée pour former et encadrer les centaines de milliers de personnes nécessaires afin d'insuffler des mobilisations et pratiques de transition, du local au global, en milieu rural et urbain, dans les entreprises et les institutions, etc. C'est pourtant décisif pour la suite.
Un mouvement citoyen ne peut perdurer dans le temps, se renforcer et s'étendre au plus profond de la société qu'en étant porteur d'un récit qui fait sens, dessinant un futur à la fois viable et enviable, en un mot désirable. En l'occurrence, il doit ici être capable de susciter un niveau d'engagement individuel et collectif rarement atteint dans l'histoire de l'humanité. Transformer les soubassements énergétiques de notre formidable machine à réchauffer la planète qu'est l'économie mondiale n'est pas une mince affaire : se limiter à la mobilisation de savoirs techniques ou à la juxtaposition de dates de mobilisation et de campagnes à mener, aussi essentiels soient-ils, ne sont pas suffisants pour donner du sens à la transition désirée.
Une partie de cet immense défi consiste à donner du sens à l'engagement de chacun.e. On le voit quotidiennement : beaucoup s'engagent aujourd'hui après avoir changé leur mode alimentaire (bio, local, réduction de sa consommation, etc) ou leur pratique quotidienne (se déplacer en vélo, etc). Loin d'être un frein à l'engagement collectif, ces actions individuelles peuvent en être un des moteurs. Pendant longtemps, on a opposé les engagements individuels aux engagements collectifs, les premiers étant supposés naïfs et insuffisants d'un côté quand les seconds étaient jugés illusoires et déconnectés de la réalité des gens. De ce point de vue, nous avons beaucoup à apprendre du mouvement féministe, de son histoire, de ses victoires et de ses échecs, pour réarticuler avec sérénité et détermination, plutôt que les opposer, les petits gestes de la vie quotidienne avec les mobilisations collectives.
Autre enjeu politique majeur jusqu'ici insuffisamment pris en charge par le mouvement climat ainsi que par les ONG et associations engagées : qu'à termes, nos manifestations pour le climat soient bien plus diversifiées d'un point de vue social. Ce n'est pas qu'un vœu pieux. La Marche pour le climat organisée à New York en 2014, qui a réuni plus de 400 000 personnes, était composé majoritairement de communautés noires, latino et indigènes, notamment impactées pas des projets nocifs dans leurs quartiers ou sur leurs territoires. Ce travail a été entrepris en France en amont de la COP21 en vue de la grande manifestation qui a finalement été interdite par François Hollande. Il est urgent de le reprendre : les populations les plus affectées – et les moins outillées pour y faire face – par les pollutions et le mal-développement doivent être au cœur de cette stratégie politique et nous devons collectivement nous atteler à mieux identifier les inégalités environnementales dans notre pays, pour mieux les combattre.
Marche pour le climat - septembre 2014 - New-York Marche pour le climat - septembre 2014 - New-York
Dernier aspect de ce défi politique : l'articulation du local et du global.
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« Si nous ne faisons pas l'impossible, nous devrons faire face à l'impensable ! », écrivait Murray Bookchin en 1982, dans The Ecology of freedom. Chaque jour qui passe renforce cette exigence.
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.